Découvrez le texte de notre étudiante Mailie Dumas

L’écran faisait presque mal aux yeux. Le blanc de la page illuminait l’espace autour comme une présence divine. Non pas que la pièce était sombre, mais le contraste entre le document Word vierge ouvert sur l’ordinateur et le reste du bureau était monumental. Le reste des meubles, bien plus sombres et sobres que ce blanc éclatant semblaient presque disparaître et s’effacer. Il n’y avait que cette page blanche.

Cette monstrueuse page blanche.

Les mains de l’Auteur se tenaient au-dessus du clavier, prêtes à taper ce qu’il leur demanderait. Pourtant, face à cette lumière aveuglante, dans cette pièce dédiée à l’écriture, il n’y avait pas un bruit. Le silence régnait en maître, c’était aussi calme que dans sa tête.

Ridicule, c’était complètement ridicule. Lui qui avait le cerveau qui tournait tout le temps, aux moments les moins pratiques, il avait choisi cet instant pour être vide. Non mais sérieux quoi. En plus de ça, l’Auteur avait autre chose à faire. Pour être exact, il avait un livre à commencer. Son éditeur attendait quelque chose, après tout il l’avait promis. Mais qu’est-ce qui lui était passé par la tête ce jour-là ?

Ah. Ah mais oui. Oui oui. Ce jour-là il avait pensé à une merveilleuse idée pour un livre. C’était quoi cette idée déjà ?

L’Auteur soupira. Il ne s’en souvenait absolument pas. Ses yeux quittèrent l’écran, le soulagement fut instantané. Les murs couleur caramel, les meubles acajou et le rayon du soleil sur la porte en face de lui avaient installé une atmosphère douce et chaleureuse qu’il n’avait pas remarquée jusque-là. Il se détendit quelques secondes et retourna à la maudite page.

Cinq minutes, il commença à taper du pied. Dix minutes, son doigt tapota à côté de la souris. Quinze minutes et il ferma l’ordinateur en jetant la tête en arrière contre le dossier de la chaise et ses mains couvrirent son visage. Un grognement de frustration perturba le silence. Puis encore un soupir.

-Ok, tout va bien.

Il prit son ordinateur portable et le posa dans un tiroir qu’il referma aussitôt. Out of sight, out of mind, s’il ne le voit pas, il ne lui pose pas de problème. Mais on combat le feu par le feu. Il saisit une feuille et la déposa gentiment, avec tout le respect du monde, devant lui. Il attrapa une tasse avec des stylos et étudia son contenu. De quoi avait-il besoin ? Un stylo rouge, bleu, vert ou noir ? Il fit la grimace devant les couleurs de Noël. Non, pas pour écrire un premier jet comme ça. Il prit le bleu et le noir dans ses mains et les observa un peu plus. D’un côté, le noir donnait un aspect vraiment final à l’écriture, et ça le rebutait. Mais le bleu… Le bleu lui rappelait ses cours de collège et il n’avait vraiment pas envie d’écrire avec.

-Oh putain.

Il secoua la tête, décidant que ce débat inutile avait duré bien trop longtemps. Il approcha la mine d’encre noire en haut de la feuille.

Il allait la poser. Il allait la poser et commencer à écrire. Elle toucha la page mais ne bougeait pas d’un pouce. Qu’est-ce qu’il pouvait bien écrire ?

Trois minutes, il commença à taper du pied. Six minutes, il faisait joujou avec le stylo. Neuf minutes, le stylo retrouva sa place dans la tasse et l’Auteur se leva avec une plainte. Il agrippa ses cheveux, tira lentement.

-Aaaaah !

Puis il prit une grande inspiration. Sur le mur de droite il y avait un grand tableau blanc. Tout blanc, immaculé. On ne voyait même plus le plan de son livre publié l’année d’avant. Non le tableau était blanc, prêt à décrire une nouvelle aventure. A côté on pouvait voir un bloc de post-it, des feutres, et encore des stylos. Pourtant face à cette étendue de blanc, même avec le souvenir du travail précédent qui avait pris tant de place, rien n’y faisait. Sa main eut un spasme, une envie claire d’aller vers les feutres. C’est sûr que ce n’était pas l’envie qui manquait. Il n’y avait aucun doute là-dessus.

Une minute, il commença à taper du pied. Deux minutes, ses bras se balancèrent distraitement. Trois minutes et il quittait la pièce carrément. Il ferma la porte derrière lui et prit, encore une fois, une grande inspiration.

Changement de plan. Etrangement déterminé à ne pas abandonner, il s’élança vers la cuisine. Passant le couloir en glissant sur le parquet comme quand il avait dix ans, il prit le virage un peu serré et percuta la porte en bois. Dorénavant sur du carrelage, il avança jusqu’à l’évier en céramique blanc. Dans le placard en-dessous il attrapa un chiffon et du vinaigre d’alcool. Visiblement s’il n’arrivait pas à travailler, c’était que son espace de travail n’était pas adéquat. Il l’avait rangé la veille, donc aujourd’hui il devait le nettoyer.

Quelques dizaines de minutes plus tard, il n’y avait plus une once de poussière sur les surfaces dans son bureau et il bataillait avec l’aspirateur pour le rendre impeccable. C’était à peu près à ce moment qu’il se rendit compte qu’il venait de passer quarante-cinq minutes à procrastiner, et pas qu’un peu.

Il remit tout en ordre et revint dans son bureau, fenêtre ouverte cette fois, laissant la chaleur de onze heures remplir tout l’espace.

-Ok. Essayons autre chose.

Il prit son téléphone, posé auparavant sur une table d’appoint à l’entrée du bureau. Il fit bien attention à laisser les modes avion et « ne pas déranger », puis ouvrit l’application dictaphone et appuya sur le bouton rouge.

Le smartphone retrouva sa place pendant que l’Auteur fit le tour de son bureau.

-Ok, donc….

Le silence qui suivit fut pesant, lourd comme un fardeau imposé de force.

-Non mais c’est pas vrai !

L’Auteur était de nature bavarde, pour qu’il soit à court de sujet, il lui en fallait beaucoup.

-J’écris pas. J’écris pas. J’ECRIS PAS ! Et puis je sais pas sur quoi écrire. Réfléchissant, il fit les cents pas et s’arrêta devant la fenêtre. Je sais même pas sur quoi je veux écrire, mais bordel je VEUX ECRIRE !

Il soupira, pour changer. Il refit un tour du bureau, répétant les mêmes choses. Il s’arrêta devant un livre et l’ouvrit au hasard. Ses yeux parcoururent les pages avec facilité, les mots s’alignaient avec un naturel et une fluidité dont l’Auteur ne pouvait que rêver. Sans s’en rendre compte, il s’assit sur le fauteuil en velours vert près de la bibliothèque, et continua de feuilleter. Les pages tournaient avec régularité, son regard suivant toujours l’histoire. Il changea sa casquette, retira celle marquée « CREATEUR » et enfila à son insu celle qui le plaçait en lecteur.

Il n’y eut pas un mot. Les seuls bruits qu’on entendait furent les oiseaux dans le jardin, quelques rares voitures, et les pages de L’Atlantide n’a Jamais Disparue qui tournaient. Jusqu’à-

BAM !

Le livre se ferma sèchement et avec rapidité il fut remis à sa place.

-Mais qu’est-ce que je fous ?!

Il secoua la tête et revint devant son bureau. Il ne s’assit pas, ne sortit pas de feuille ni son ordinateur portable. Il observa juste ce qu’il y avait autour.

-Pourquoi j’y arrive pas ?

Personne ne lui répondit. Alors il finit par reprendre sa place, sortit un cahier et utilisa le premier stylo qui lui tombait sous la main, un stylo rouge. Il ouvrit le carnet aux premières pages vierges qu’il trouvait et commença à écrire. Là il déversa toute sa frustration. Son envie d’écrire, sans avoir aucune idée de quoi écrire. Il coucha sur papier que son premier roman s’était si bien passé, l’écriture avait été longue et laborieuse mais il était tellement fier du produit final ! Et il voulait une nouvelle idée, il y avait beaucoup de choses à dire sur cet univers qu’il avait créé, mais il ne voulait pas mettre la tête dedans pour l’instant. Il préférait partir sur un autre projet, profiter que la fin soit claire et nette pour commencer autre chose. Le jour où ça lui viendrait, il pourrait y retourner. Mais pas aujourd’hui. Mais alors quoi écrire ? Il était maintenant officiellement auteur. Et pas que. Il était écrivain Publié. Son deuxième ouvrage devait être au moins aussi bien que le précédent. Sinon-

Stop.

Stop.

Non non.

-Non.

La crainte d’écrire n’importe quoi s’envola. C’était ça le problème. Quelques secondes après, il mit devant lui son carnet d’idées. Cette mine d’or qui lui permettait de stocker tous les projets qui lui traversaient l’esprit. Il feuilleta doucement, attentivement. Il sourit face à des fautes, face à des histoires farfelues. Jusqu’à ce qu’il atterrisse sur la bonne. Celle-là.

Il retourna au tableau et écrit en gros en haut « ADA BEAUMONT ».

Il analysa le nom quelques secondes. Par où commencer ? Un post-it orange trouva sa place à gauche, il y écrivit « Début ». Un post-it jaune fut placé au milieu, on y lisait « Epreuves ». Un post-it rose fut accroché sur la droite, « Fin ».

L’Auteur se plaça devant le début. Qu’est-ce qu’il y avait au début ?

-Mais qu’est-ce que j’en sais moi !

Il eut une réaction similaire aux deux autres morceaux de couleur. Après tout c’était hyper injuste qu’une histoire ne puisse pas naître d’elle-même. Pas croyable !

-Pffft.

Il était déjà l’heure d’aller déjeuner. Mais il n’avait pas envie de lâcher. Non, il irait manger après avoir aligné au moins dix mots, même s’ils n’avaient aucun sens.

-Aller Ada. Aide-moi.

Il fit un pas en arrière et fixa du regard le nom, le titre, de son prochain ouvrage.

-Ada. Comment est Ada ? Elle est dans la moyenne, pas très grande mais pas très petite. Elle est confiante. Elle adore le combat, et elle adore avoir raison. Heureusement pour elle, elle a souvent raison. Par contre c’est une sacrée tête de mule avec l’ego qui va avec, quoi.

Sur un post-it il nota ses faiblesses. Hyper indépendance, difficulté à travailler en équipe, à écouter les autres, à prendre des ordres de ses pairs. Têtue. Jusqu’à ce que ce soit utile, ce trait de caractère jouera en sa défaveur. Elle a beaucoup de mal à faire confiance. Et pourquoi ? Il prit un autre post-it et y inscrivit ses mentors. Là il y avait sa mère et son chef de département. Il ajouta au tableau la profession d’Ada, espionne, agent de la DGSE. Sur le côté il nota au feutre ce qu’il devrait chercher et regarder. La DGSE, Le Bureau des Légendes, les Tom Clancy et autre romans d’espionnage.

Il ajouta sur le tableau les besoins d’Ada, être reconnue pour son travail, s’améliorer et devenir meilleure. Mener à bien ses missions. On trouvait aussi les lieux clés, le bureau de la DGSE, un club à Amsterdam, un sous-sol à Budapest, une planque en Croatie. Il y avait une liste de ses alliés, les agents Bennett et Miller de la CIA.

Et puis, sous le post-it « Début », l’Auteur commença à écrire.

-Son entrée à la DGSE, murmura-t-il.

Il écrivit d’autres informations, le Berger Allemand qu’elle avait en grandissant, son père qui était un peu là mais pas trop, une meilleure amie partie trop tôt et tout un apprentissage du maniement de l’arme blanche. Ada adore les couteaux.

Quand l’Auteur alla enfin manger, le tableau était passé de blanc à coloré. Il y avait du rose, du jaune, de l’orange et du bleu. Et dans les espaces blancs, il y avait des écritures noires et bien lisibles. Ada Beaumont avait enfin son histoire. En revenant de son déjeuner, il pourrait commencer à l’écouter la raconter.