« Aurores boréales », découvrez le texte de notre étudiante

Découvrez le texte de notre étudiante Mireille Fauconnier :

« Le groupe d’intervention avance prudemment tel un défilé d’ombres chinoises. Trois hommes et une femme se déplacent ainsi sans aucune lumière pour les guider, si ce n’est la clarté argentée de la lune qui s’élève dans le ciel clair, parsemé çà et là de quelques restes de nuages effilochés irradiés d’une aurore boréale telle qu’ils n’en ont jamais vu. La lueur fantasmagorique, oscillant entre le vert le bleu et l’indigo, donne aux maisons de la ville qu’ils viennent de quitter, une teinte bleu violet virant sur le noir.

Partis de Reykjavik depuis quinze jours, ils avancent le long de la route sinueuse, traversant villes et villages, s’arrêtant chez l’habitant pour se réchauffer et se nourrir. Nul ne sait qui ils sont. Nul ne sait leur destination. Nul ne connaît leur mission secrète.

 

Il y a trois mois, une éruption solaire plus forte que les autres a étendu son emprise à l’ensemble du pays, court-circuitant tous les matériels électriques. N’ayant plus aucun moyen de communication, la capitale de ce pays insulaire perdu en plein cœur d’une immense étendue d’eau où se rejoignent la mer de Norvège, la mer du Nord, la mer du Labrador et l’océan Atlantique, s’est trouvée entièrement coupée du monde.

À la suite de cette tempête solaire, un orage magnétique s’est installé au-dessus de l’Islande, formant un dôme impénétrable. Quelques appareils, avions et bateaux, ont bien tenté de franchir les deux cent trente kilomètres depuis la côte du Groenland, mais ils se sont vus bloqués à une cinquantaine de kilomètres de la côte, incapables de traverser cette muraille invisible.

Les experts du monde entier, connaissant mal les effets d’un incident d’une telle ampleur, ont appelé à la prudence quant aux risques possibles sur les humains et les matériels en vol. Toutes les tentatives de rejoindre l’Islande ont donc été suspendues, jusqu’à plus amples informations.

Faute d’approvisionnements, le parlement a été contraint de réorganiser la vie des habitants pour faire face à cette situation exceptionnelle. Les ressources provenant de la culture furent réquisitionnées sur l’ensemble du pays. La distribution des réserves et de l’eau fut soumise à quotas. Le carburant fut réservé aux hôpitaux afin qu’ils puissent alimenter leurs groupes électrogènes.

Après un black-out complet des centrales géothermiques, faute de pièces détachées pour les réparer, celles-ci furent placées en arrêt provisoire. Cette année, les températures atteignent la nuit les moins quinze degrés à Reykjavik, ville plutôt tempérée habituellement. Le gouvernement, ordonna alors la reprise de l’abattage des forêts et l’armée fut chargée de distribuer à la population les moyens de se chauffer.

C’est ainsi qu’au sein des villes et des bourgades, chaque rue, chaque place, chaque cour, vit fleurir son feu de bois. L’autonomie des lampes solaires ne dépassant pas huit heures, des feux furent disséminés le long des pistes de l’aéroport international de Keflavik afin de prolonger l’éclairage jusqu’à la fin des longues nuits de douze heures.

Au fil des semaines, toutes les batteries disponibles sur l’île furent déchargées, tous les stocks vidés. Dès lors, plus aucune lampe électrique, plus aucun ordinateur ne furent utilisables. En cette ère du tout électrique, les stocks de chandelles et d’allumettes étaient réduits à leur plus bas niveau. La pénurie là aussi ne tarda pas à se faire sentir. Les anciens furent sollicités pour la fabrication du feu avec les moyens ancestraux.

La colère de la population allait croissant. Toutes les villes d’Islande virent fleurir des manifestations exigeant des solutions. À Reykjavík même, la cour du Parlement fut envahie par une foule disparate qui se pressait en scandant le nom du Premier Ministre.

Celui-ci se présenta devant eux : « Chers concitoyens, je sais que vous avez faim. Je sais que vous avez froid. Je n’ai pas de solution immédiate à cette crise sans précédent. Nos scientifiques s’attellent nuit et jour à trouver des solutions. J’ai réquisitionné les hôtels et les restaurants. Je vous exhorte au calme et à la patience.

L’armée vous guidera par petits groupes vers des lieux de repos et de restauration. Une fois réchauffés et nourris, pourquoi ne pas profiteriez-vous pas de l’occasion pour admirer les aurores boréales exceptionnelles si visibles depuis que les lumières sont éteintes. Le ciel lui-même vous invite à un spectacle extraordinaire avec ces bleus, ces rouges, ces verts, ces violets, cet arc-en-ciel de couleurs jamais vu en Islande jusqu’à aujourd’hui. »

 

Durant ces événements, le groupe d’intervention trace sa route. À la sortie d’une petite bourgade au bout du sentier en direction de la montagne ils aperçoivent une minuscule bâtisse peu éclairée. Une voix grave chuchote comme s’il craignait d’être entendu, ou peut-être s’agit-il d’une réaction naturelle pour qui chemine dans le noir. « Nous y voilà. L’Ancien ne nous attend pas.»

Au milieu de nulle part, au cœur de la plaine gelée et enneigée, sur les flans du Snæfellsjökull, la fumée d’une masure monte sinueuse vers le ciel. La couleur irisée du ciel donne à cette émanation une couleur verdâtre donnant à penser qu’ici vit une sorcière malfaisante. C’est là que réside l’Ancien. Un vieil homme parcheminé dont nul ne connaît la naissance. Doyen de l’Islande, il est reconnu pour sa sagesse et sa connaissance. Pior Jorgensen, tel est son nom. D’aucuns disent qu’il est le petit-fils de Jorgen Jorgensen. Celui qui, en 1809, s’est autoproclamé roi d’Islande. Il a régné quelques mois avant son arrestation. L’Ancien ne l’a jamais confirmé, ni infirmé, alors qui sait…

Malgré son grand âge, son oreille est fine. Le vieil ermite a depuis longtemps entendu ceux qui viennent le visiter. Ils sont quatre, trois hommes et une femme qui viennent de loin. Il connaît la raison de leur visite. Ils viennent lui parler de cet orage magnétique dont de temps à autre les éclairs puissants, provoquent de furtives aurores boréales toujours plus colorées.

Il ouvre sa porte pour les accueillir. La femme et les trois hommes investissent la petite cuisine qui soudain s’étrécit. La Kjötsúpa bout au creux de la marmite accrochée dans l’âtre. Sur la table entourée de bancs, sont disposées cinq assiettes creuses, une grosse miche de pain, des cuillers en bois, des gobelets d’acier. Les marcheurs ont soudain l’impression d’être transportés aux temps anciens.

Sans un mot, le vieillard leur fait signe de s’asseoir, leur sert à chacun un verre de vodka. Pendant qu’ils mangent la soupe, lui s’habille chaudement. Il endosse son manteau fourré à la laine de bélier, chausse ses bottes de neige, coiffe sa chapka. Dès qu’il voit que le groupe a terminé son assiette, il sort dans la nuit et d’un signe leur indique de le suivre. Il ferme soigneusement sa porte, puis se dirige vers la montagne.

Longtemps, ils marchent à sa suite sur les pentes inégales. Snæfellsjökull est un ancien volcan. Les Islandais aiment à le comparer au mythique Mont Fuji. Ici les éclairs semblent plus puissants, plus fréquents. Un Kaléidoscope irisé s’étend juste au-dessus du sommet. L’Ancien conduit le groupe le long du chemin sinueux à flanc de massif, jusqu’à atteindre le bord du cratère.

Soudain, dans la vaste cavité de lave refroidie, se révèle à eux un spectacle de fin du monde. Au fond, une immense structure métallique couvre toute la surface. Ils reconnaissent les marques d’une grande puissance militaire. Au centre du bâtiment s’élève une sphère à ciel ouvert. Autour du globe à facettes, de grandes plaques métalliques s’étalent, sens dessus dessous. La toiture de la salle centrale semble avoir été expulsée violemment. Aucune présence humaine n’est visible alentour. Dans un incommensurable chaos, des éclairs fusent de toutes parts partant du centre de la boule argentée. Les arrivants sursautent parfois, tandis qu’un éclair plus violent que les autres jaillit jusqu’au firmament, irradiant le ciel de lueurs colorées tel un feu d’artifice silencieux.

Apparaissant et disparaissant au gré des flash de lumière, l’Ancien la femme et les trois hommes se concertent en chuchotant. Ils savent tous ce qu’est cette puissante machinerie.

Une voix grave s’étonne : – « Un accélérateur de particules ! »

– « De type laser méga joule ! » complète la voix de femme avec effroi.

L’Ancien acquiesce alors dans un souffle : – « Ces mastodontes sont utilisés pour la simulation d’essais nucléaires…» «