Anne-Frédérique Rochat : Mes personnages sont plus forts que moi

Née le 29 mars 1977 à Vevey, la comédienne Anne-Frédérique Rochat, sortie du Conservatoire de Lausanne en 2000, se met rapidement à écrire des pièces de théâtre (dont cinq ont été montées), puis des romans, tous publiés aux Éditions Luce Wilquin (Belgique), son sixième est paru en août 2017 et s’intitule La ferme (vue de nuit). Elle est la lauréate du Prix Littérature de la Fondation Vaudoise pour la Culture 2016. Son site internet : www.annefrederiquerochat.ch

Photographie @Francesca Aiello

 

Anne-Frédérique Rochat, vous êtes femme de théâtre, actrice et aussi écrivain. Pour entrer dans les personnages de vos romans, est-ce que vous bougez dans le lieu où vous écrivez ?

Non, j’écris assise. J’aime bien la position assise, devant l’ordinateur, je ne bouge pas tellement. Après, j’aime bien me balader, je n’arrive pas à rester longtemps assise, donc je reste concentrée une heure trente, deux heures, et puis après je me balade, et je me penche de nouveau sur le texte.

Une journée d’écriture, pour vous, ça se passe comment ?

Je n’ai pas vraiment de journées entières d’écriture, je n’arrive pas à écrire huit heures d’affilée. Donc, pour moi, c’est très régulier, en général, six jours sur sept, deux trois heures tous les matins.

Comment est-ce que vous écrivez ? À la main, à l’ordinateur ? Les deux ?

J’aime beaucoup écrire sur l’ordinateur directement. Je prends des notes dans des calepins, de temps en temps, pour ne pas oublier des choses, au début, quand je me lance dans un projet. Après, j’adore me lancer directement sur l’ordinateur. Ensuite, j’imprime la page et je la corrige avec un stylo : j’ai besoin de la voir pour la corriger.

Depuis le temps que vous écrivez, est-ce qu’il y a des choses qui ont évolué dans votre pratique d’écriture ?

Je fais de moins en moins de plans. Au début, j’avais besoin de maîtriser, de savoir exactement où j’allais. De plus en plus, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui parle, qui est plus inconscient, plus intéressant que le côté cérébral. Je sais en gros où je vais, mais j’ai l’impression de laisser plus de choses m’échapper.

Vous écoutez vos personnages ? Ce sont eux qui vous racontent l’histoire ?

Alors, oui, j’ai vraiment cette impression : ce sont eux qui me prennent par la main.

Ça vous arrive d’avoir de grosses surprises ?

Oui. Sur le dernier roman qui vient de sortir, à la moitié, il est arrivé une chose à laquelle je ne m’étais pas du tout attendue et qui change complètement la fin.

Alors vous vous laissez la liberté de vous faire balader par vos personnages ?

Oui et j’adore ça ! Ils sont plus forts que moi.

Est-ce que c’est à travers le théâtre que vous êtes venue à l’écriture ? Est-ce que l’écriture était là avant le théâtre ?

Le théâtre était là bien avant, parce que j’ai commencé le théâtre quand j’avais sept ans et c’est vraiment une passion, je savais que ce serait ma vie. Pour moi, le théâtre était mon grand amour pendant très longtemps et l’écriture est arrivée comme une grosse surprise après le Conservatoire, j’avais à peu près 23, 24 ans. D’abord, c’était pour me donner du travail en tant que comédienne, alors j’ai commencé à écrire des textes dans l’idée de les monter et, en fait, ça m’a complètement dépassée : c’est devenu la passion d’écrire.

En quoi est-ce que votre formation de comédienne nourrit votre écriture ?

Elle la nourrit très fort dans le sens où une des choses importantes du métier de comédien, c’est vraiment d’essayer de se mettre à la place, dans les pensées de quelqu’un d’autre avec une certaine compassion. Pour pouvoir le jouer, je pense qu’il faut le comprendre et l’aimer aussi. Alors j’ai appris depuis longtemps à me déplacer dans d’autres modes de pensée. J’ai l’impression que pour les romans, il faut aussi faire ça, à moins qu’on écrive des choses très autobiographiques.

Techniquement, comment est-ce que vous vous y prenez pour vous mettre dans la peau de quelqu’un ?

Ça se fait en fait assez instinctivement. C’est différent dans l’écriture ou dans une pièce, parce que dans une pièce, il y a plus de contraintes, que le texte est écrit, donc il faut vraiment entrer dans la pensée de l’auteur pour comprendre les mécanismes de ce qu’il a voulu écrire de son personnage et pourquoi il fait ça. Alors que dans l’écriture, c’est moi qui décide pourquoi il fait ça. Je sens quand c’est juste.

À une personne qui se met à écrire, qui entre en écriture, est-ce que vous auriez deux conseils à donner : une chose à faire si possible une chose surtout ne pas faire ?

Beaucoup lire, ça nourrit : on apprend aussi ce qu’on aime, ce qu’on n’aime pas, ça nous motive. Et puis écrire beaucoup : c’est comme une sorte de muscle, plus on écrit, plus on trouve aussi sa propre singularité. C’est important aussi d’aller chercher dans quelque chose de profond en soi, une vraie nécessité d’écrire, d’aller dans les choses qui nous touchent. Après, il faut les travailler, les maîtriser, prendre de la distance et puis, surtout, ne pas trop écouter les conseils !

Propos recueillis par Pierre Fankhauser

Photo : © Amélie Blanc