Bertrand Schmid : À la plume pour la lenteur

Helléniste et théologien, Bertrand Schmid est passionné par les voix littéraires qui assument leurs particularités et cultive son goût pour les textes marginaux ou inclassables. Il a publié entre autres un roman, Saison des ruines (2016), et un recueil de récits, Autres ailleurs (2017), aux éditions L’Âge d’Homme. Son site : www.bertrandschmid.ch

Bertrand Schmid, quand on voit passer vos manuscrits, il y a beaucoup de travail, le mot juste, la recherche, c’est très important. Comment est-ce que vous travaillez, entre l’écriture à la main, à l’ordinateur, comment est-ce que ça fonctionne pour vous ?

J’écris toujours à la main dans des carnets. Une systématique s’est dégagée au fil du temps : j’écris sur la page de droite, à la plume, l’outil est extrêmement important. J’écris à la plume pour une bonne et simple raison : ça nécessite de la lenteur. Or, quand j’écris, je choisis, je fais attention aux sonorités, je fais attention au rythme, je suis très précis et méticuleux dans mon écriture. Avant, j’écrivais exclusivement au crayon gris.

Pourquoi au crayon gris ?

Parce qu’il y a une facilité de ratures, une clarté. Pour moi, les choses étaient claires comme ça, mais ça allait vite. Donc, maintenant, j’écris à la plume et, sur la page de gauche, je vais faire ma prise de notes pendant que j’écris. Si quelque chose surgit, un thème, un son, c’est là que je vais mettre des notes. Une fois que j’ai ce premier jet, je vais le transcrire à l’ordinateur. Si j’écris quotidiennement, je ne vais pas transcrire quotidiennement, j’attends qu’il y ait de la matière, comme ça, j’ai déjà une meilleure vision d’ensemble. En transcrivant, bien sûr, je vais équilibrer mon texte déjà une première fois. Après, en général, je vais imprimer mon texte, quand je l’aurais relu et retravaillé sur l’ordinateur, je l’imprime, je l’annote, je le gueule, comme le disait Flaubert. Là, je vais corriger la ponctuation, je vais corriger les sons, les sonorités, certaines répétitions, aussi, qui sont désagréables à l’oreille.

Vous parliez d’équilibrer votre texte, ça veut dire quoi ?

L’équilibre, c’est le fil du rasoir. Pour moi, c’est quelque chose d’atroce : c’est le moment où on va veiller à ce qu’une phrase ait une unité, que le mot soit bon, que la phrase soit équilibrée, pas trop chargée, mais pas trop légère non plus. Pour moi, il y a un danger tant dans la surcharge que dans l’anorexie et, du coup, je n’aime pas du tout les choses trop ramassées. J’aime que le récit soit ramassé, mais pas forcément l’énonciation. C’est ce moment où on va enlever par-ci par-là un ou deux mots, on va peut-être en ajouter un ici, on va varier la ponctuation pour que tout ça soit vraiment entre le trop et le pas assez.

Et vous écrivez où ?

Au bistrot.

Pourquoi ?

Parce qu’il y a les gens. Je n’aime pas vraiment la foule, mais par contre il me faut les gens quand j’écris. Il faut que je les sente, je ne sais pas vraiment, je ne peux pas me l’expliquer.

Dans vos années de pratique d’écriture, est-ce qu’il y a des choses qui ont évolué, des choses que vous faisiez avant et que vous ne faites plus maintenant ?

Je suis très attentif à la ponctuation, elle a gagné en rigueur, je pense que je ponctue plus facilement qu’avant, j’ai moins besoin de chercher le rythme correct de la phrase. J’ai arrêté certaines surcharges adjectivales ou verbales, notamment. J’adore aussi les tournures impersonnelles, mais j’arrive à mieux les diluer, c’est plus équilibré, ça gagne un petit peu en clarté, on va dire, j’ai moins besoin d’élaguer. Il y a des choses comme ça que j’ai gagnées. J’ai toujours autant de mal, par contre, avec le recul par rapport au texte, donc je laisse une longue maturation : six mois, c’est le minimum.

Effectivement, l’écriture semble faire partie de votre vie depuis toujours, comment est-ce qu’elle est venue à vous ?

Je ne sais pas. C’est assez marrant, j’ai mangé avec ma mère, là, et elle m’a dit : « C’est drôle, parce que toi, tu as su écrire avant de savoir lire. En fait, la première fois que tu as montré que tu savais lire, c’est quand tu as écrit un mot. » Quand j’avais 11 ans ou 12 ans je lui ai dit : « Plus tard, je serai écrivain, mais je serai archéologue à côté, parce que, de toute façon, écrivain ça n’amène pas d’argent. » J’étais lucide.

Et, aux personnes qui se lancent dans l’écriture, qui commencent un projet, est-ce que vous auriez deux conseils à leur donner : une chose à faire dans la mesure du possible et une chose à n’absolument pas faire ?

Lors de l’envoi aux éditeurs, ce n’est pas en remplissant deux cents enveloppes de manuscrits et en les envoyant tous azimuts que ça va marcher. Il faut penser, c’est un projet en soi de trouver un éditeur. C’est comme quand on envoie un CV : on ne va pas envoyer la même lettre à deux cents entreprises différentes, on va éventuellement essayer d’avoir des contacts, d’en parler, de demander des conseils. Beaucoup trop de gens dont le texte a été refusé en parlent souvent comme si, en fin de compte, ils étaient incompris. Je crois que c’est une erreur monumentale. On n’est pas incompris. On peut être peu lu, mal apprécié, déprécié, même, ce n’est pas grave : la littérature est aussi un objet à ne pas aimer. Certains livres, on ne les aime pas et c’est tout aussi important que ceux qu’on aime. Mais, surtout, ce qu’il ne faut pas faire, c’est sortir de la ligne éditoriale, proposer un truc qui n’a rien à voir. Il faut savoir où on va, où on met les pieds, et comment les y mettre. Et quelque chose à faire absolument ? Savoir mettre le point final.

Propos recueillis par Pierre Fankhauser

Photo : © Anne Bichsel