Philippe Lafitte : Des post-its à toutes les pages

Né à Boulogne-Billancourt, Philippe Lafitte commence son œuvre d’écrivain au début des années 2000, après une carrière de directeur artistique et de concepteur-rédacteur. Ses trois premiers romans, dans un registre plutôt noir et métaphysique, sont publiés chez Buchet/Chastel. Parmi ses dernières publications, on peut citer Vies d’Andy (Le Serpent à Plumes, 2010), roman en cours d’adaptation pour le cinéma avec le réalisateur Laurent Herbiet, et Belleville Shanghai Express (Grasset, 2015). En parallèle, Philippe Lafitte dirige des ateliers d’écriture créative et développe des projets de scénarios pour le cinéma et la télévision. Après le micro-roman Eaux troubles publié en Suisse chez BSN Press en 2017 paraîtra un nouveau roman chez Grasset en 2018. Son site internet : www.philippe-lafitte.iggybook.com

Philippe Lafitte, vous êtes non seulement écrivain, mais aussi scénariste : est-ce que vous abordez ces deux types d’écriture de manière différente ?

Oui, les deux approches sont un peu différentes, avec un postulat de départ identique : le vecteur de l’écriture pour développer du récit et du sens.

Est-ce que vous travaillez dans les deux cas avec un plan ou est-ce que vous préférez vous laisser surprendre par vos personnages ?

Là encore, je procède différemment, à moyen terme. Les intuitions de départ restent les mêmes : une thématique qui m’intéresse, une idée qui semble riche de développement, une situation qui se met en place, des personnages qui se devinent et prennent de l’épaisseur. Les surprises ou les contre-allées réflexives arrivent en cours d’élaboration. En roman, je prends surtout beaucoup de notes en vrac, que je réorganise à mesure de l’écriture. En scénario, particulièrement sur des projets de série, l’élaboration d’un plan de déroulement précis est nécessaire pour ne pas perdre de temps. Quitte évidemment à l’amender cinquante fois !

Comment prenez-vous vos notes ? Sur un carnet ? Sur votre téléphone portable ? Est-ce que vous les écrivez ou est-ce que vous les dictez ?

Je crois que je ne suis pas un modèle, car je suis très bordélique et j’accumule les notes diverses, mais je me soigne, un peu… J’utilise un cahier de notes et de nombreux post-its que j’adjoins à mesure en plus des notes traditionnelles. Ensuite, il y a les retranscriptions sur ordinateur qui supposent de nouveaux développements, etc. C’est une sorte de work in progress permanent. Je prends aussi des notes sur mon portable, n’importe où. L’idée est de pouvoir prendre des notes tout le temps… Mais on doit pouvoir faire plus rationnel que moi, pour la méthode !

Comment est-ce que vous rassemblez toutes ces idées ? Est-ce que votre espace d’écriture est lui aussi rempli de post-its ?

Malheureusement pour l’idée d’ordre, oui ! Je suis un gros consommateur de post-its, là encore pour plusieurs usages : mur de citations qui me parlent et ont du sens pour moi ou pour un projet donné, autre mur avec des post-its plus ordonnés pour élaboration d’un scénario, synopsis complet ou épisode. Et post-its en ajout dans cahiers de notes… Plus intuitif pour le roman, plus ordonné pour le scénario. Il faudrait tenter l’inverse, pour voir…

Et comment se déroule votre journée d’écriture ? Est-ce que votre routine a évolué avec les années de pratique ?

Pour l’écriture « pure », le moment où l’on a le plus besoin de temps, de calme et de concentration, j’essaie de privilégier le matin, si possible trois ou quatre heures d’affilée. Ça ne marche que si on n’a pas un travail en parallèle évidemment : dans ce cas de figure, toutes les plages de « repos » sont nécessaires et mobilisées. Pour les notes, divagations et autres recherches de documentation, n’importe quand et n’importe où. C’est pourquoi les auteurs en général ont l’air si distraits : ils pensent tout le temps à leur « bébé » du moment… Restent les idées, images, intuitions qui arrivent en pleine nuit ou dans un état de semi-conscience, de rêve éveillé : il ne faut pas avoir peur d’être insomniaque si on se décide à écrire sur le long cours !

Quels conseils pourriez-vous donner à une personne qui se lance dans l’écriture ? Une chose à faire absolument et une autre à ne surtout pas faire.

Question délicate, c’est tellement difficile de donner des conseils qui puissent servir à d’autres, sachant que chaque projet d’écriture est un chemin personnel. Pour quelqu’un qui se lance, je conseillerais d’essayer d’être régulier pour trouver son rythme, même à petites doses, au début. La métaphore de la course est un peu facile, mais parlante : on ne peut courir longtemps, avec aisance qu’en étant entraîné et au prix de gros efforts… On peut aussi flamboyer lors d’une course fulgurante d’amateur, mais les risques de claquage sont plus grands. Prendre conscience aussi – et assumer ! – qu’il y a une part de souffrance et d’effort associés aux moments de plaisir indescriptibles qu’on ressent quand tout avance comme on veut : c’est le prix à payer pour progresser. Savoir assez vite si c’est un simple loisir ou une nécessité : ça permet d’évaluer où on veut placer la barre en termes d’ambition créative. Reste à franchir la barre, ce qui est une autre histoire. Une chose à éviter, peut-être : se dire que « quand on aura le temps, on s’y mettra ». Le plus souvent, ça ne marche pas et on ne s’y met jamais. Là encore, faire la part entre la réelle nécessité et le simple fantasme. Mais un fantasme fort peut nourrir un désir conséquent. Essayer de dépasser sa peur de ne pas réussir aussi. Là encore, ça peut être un moteur, parmi d’autres. Mais le vrai moteur reste pour moi le désir, alimenté par l’envie de donner un sens personnel à ce qu’on livre aux autres sous différentes formes d’expression, roman, nouvelle, scénario, poésie, etc.

Propos recueillis par Pierre Fankhauser

Photo : © Gennaro Scotti