Interview d’Hélène Fischbach, directrice du Quai du Polar

Désir d’écrire est partenaire de la 21e édition de Quai du polar, l’un des festivals littéraires les plus importants de Lyon. A cette occasion, nous avons rencontré sa directrice, Hélène Fischbach.
Interview de Céline Zufferey.

 

Quel est votre parcours ?

J’ai commencé par un IUT métier du livre, puis un Master d’édition. J’ai ensuite travaillé pour différentes maisons d’édition, notamment Gallimard à la série noire, les Editions Autrement et Rivages. Je travaillais surtout à la presse et à l’accompagnement des auteurs et autrices en festival et rencontres librairies. C’est ainsi que j’ai appris à connaître le polar, l’organisation des évènements littéraires et que j’ai tissé des liens avec les auteurs et les autrices. J’ai également fait une incursion dans le domaine de la jeunesse, mais ça ne me plaisait pas autant que le polar.

 

Qu’est-ce qui vous attire autant dans le genre du polar ?

Ce qui m’a toujours attirée dans la littérature, c’est son côté social. Les livres qui m’ont le plus marquée quand j’étais jeune sont Germinal et Des souris et des hommes. J’aime une littérature ancrée dans le social, dans la réalité. Et puis, même dans un mauvais polar, il reste toujours une histoire. C’est un des vrais talents des auteur.ices du genre : raconter une histoire, c’est ce que je cherche quand j’ouvre un livre. De plus, l’ancrage dans la réalité du polar permet de découvrir d’autres domaines et d’autres territoires, explorés par les auteur.ices français.es et étranger.ères.

 

Comment est né le festival Quai du polar ?

La ville de Lyon cherchait à monter un évènement autour du polar. En effet, Lyon est attaché au genre par son atmosphère, le gang des Lyonnais, Interpol, la police scientifique, les films de Tavernier. De plus, Lyon est une des villes avec le plus grand nombre de librairies indépendantes, il y avait un réel besoin de créer un évènement littéraire pour promouvoir et aider les librairies. À l’époque, choisir le polar comme thème de la manifestation c’était assez osé.

 

Qu’entendez-vous au festival par « polar » ?

Nous avons choisi dès le départ d’être très ouvert sur la notion de polar : notre but c’est de mêler les auteur.ices. Ainsi, nous accueillons toute sorte de genres : le thriller, le roman noir, le cozy crime, le roman d’espionnage, le polar historique, la non fiction basée sur un fait divers… Ça ne se faisait pas trop à l’époque, les festivals de polar se contentaient d’inviter uniquement des auteur.ices de polar, et ce pouvait être honteux par exemple d’avoir du thriller. À Quai du polar on s’est rendu compte que les genres et les lecteur.ices se mélangeaient très bien, c’est très enrichissant.
Ce qui est drôle, c’est que le genre du polar est une spécificité française (et italienne, avec le giallo). Dans les autres pays, par exemple chez les Anglo-Saxons, le polar n’existe pas, il n’est pas étiqueté comme un genre en tant que tel : il n’y a ni collection ni rayon polar. La création du genre polar est surtout le fait des éditeurs français.

 

Quelle serait votre définition personnelle du polar ?

C’est une littérature du réel. Une littérature qui cherche à être au plus proche  de la réalité. Une littérature qui malgré tout est assez universelle, parce qu’elle parle de la société plus que des individus.

 

En 21 ans, quelles ont été les évolutions du festival ?

Assez vite, nous sommes parvenus à faire venir des auteur.ices internationaux.ales, le festival a rapidement été pris de sympathie par les éditeur.ices et les auteur.ices. Ce qui a permis de faire grandir le festival. On a vu des évolutions du genre en lui-même, qui a de plus en plus de lecteur.ices. En effet, l’arrivée de Millénium, et à sa suite de la vague du polar nordique, a ouvert le genre à une plus grande partie du lectorat. La série télé a été un autre phénomène important, qui a permis de ramener de nouveaux.elles lecteur.ices et a poussé les écrivain.es à écrire autrement. En effet, beaucoup d’auteur.ices de polar écrivent également des scénarios pour la télé, beaucoup de polars sont adaptés en série, elle tient une place importante dans leur inspiration, et cela se sent.

En 21 ans, le festival a augmenté partout : plus d’auteur.ices, plus de rencontres, plus de visiteur.es. Nous nous sommes ouverts à de plus en plus de partenariats avec d’autres structures, avec toujours cette idée de croiser les publics, d’explorer d’autres thématiques. Nous travaillons par exemple de plus en plus sur le cinéma (cette année 35 films sont programmés sur 3 jours). Une grande évolution également, c’est la création depuis 2014 des rencontres professionnelles Polar Connection, cela permet de faire se rencontrer les professionnel.les du livre, mais aussi de l’audio-visuel. Par exemple, avec le prix Polar en série, nous aidons à repérer les livres qui ont une capacité d’adaptation en série.

 

Quai du polar est un festival gratuit

En effet, c’était une vraie volonté de la ville de Lyon et des premiers organisateur.ices dès le départ. L’idée c’était de renouveler le public de base des manifestations littéraires : les enseignant.es, étudiant.es, client.es de librairies. Notre enjeu c’était de faire venir les autres, et là c’était plus complexe. La gratuité fait partie de cette ambition-là, et elle va de pair avec nos nombreuses actions de médiation auprès des jeunes publics chaque année : intéresser au livre des gens qui ne seraient pas venus spontanément au festival.

Maintenir la gratuité du festival est possible grâce aux soutiens de la Ville, de la Région, de la Métropole, du CNL. Mais les partenaires privés sont importants également, et dès le début du festival nous avons fait un gros travail de recherche de ce côté-là. C’est un vrai enjeu, car les entreprises n’identifient pas le livre comme un secteur culturel porteur comme le cinéma par exemple, alors que le livre est une des plus grandes industries culturelles. Dans une année, il y a davantage de personnes qui ont ouvert un livre que de gens qui sont allés à un concert, le livre est toujours très important pour les gens.

 

Quel est le rôle d’un festival dans la chaîne du livre ?

Un festival accompagne les librairies, c’est le rôle par exemple de notre Prix des lecteurs, le prix historique de Quai du polar. Celui-ci permet chaque année de faire émerger de nouvelles voix. Dans les premier.ères lauréat.es de ce prix on peut par exemple trouver DOA, Caryl Férey ou Franck Thilliez. De plus, nous avons créé depuis 3 ans un label, Les pépites du polar, qui permet de mettre en avant une vingtaine d’auteur.ices peu connus du grand public. Avoir cette attention aux auteur.ices nouveaux.elles nous a toujours tenus à cœur.

Un festival, c’est aussi l’occasion pour les professionnel.les de se rencontrer et de tisser des liens. Avec Polar Connection par exemple, nous travaillons à faire venir des organisateur.ices de festivals étrangers, en partenariat avec l’Institut français notamment, ce qui permet de valoriser les auteur.ices de polar français.es à l’étranger.

Pour les écrivain.es, il y a un véritable attachement au festival. Nous avons une moyenne de 125 auteur.ices par édition, ce qui nous permet de leur consacrer un temps de parole à chacun.e et de bien les accueillir. Ils et elles aiment venir au festival, car c’est une ambiance presque familiale, de vrais liens se sont créés avec les libraires, les bénévoles et l’équipe.

La rencontre avec le public est toujours importante pour l’auteur.ice, cela lui permet de briser la solitude de l’écriture, d’avoir des retours. Quant au public, l’envie de voir, d’entendre et de parler à l’auteur.ice est toujours là. Pour le public de polar en particulier, la dédicace est très importante, il y a un phénomène de fan pour certain.es auteur.ices.

 

Quelles sont les actions de médiation du festival ?

Nous en avons beaucoup, c’est important pour nous, et nous nous adressons aux jeunes de tous les âges : nos actions commencent dès la maternelle avec des lectures, en passant par les écoles primaires avec le Prix Jeunesse ou Les dictées noires qui permettent de parler de l’illetrisme. Pour les collégien.nes, nous avons le projet « classe reporter », où un.e journaliste vient parler de son métier, puis les jeunes se mettent dans la peau d’un.e journaliste et viennent enquêter sur le festival, ce qui donne ensuite un journal ou un podcast. Pour les lycéen.nes, nous avons mis en place deux programmes : la traduction et l’adaptation de polars.

Nos actions de médiation ne s’arrêtent pas à l’école. Nous avons par exemple Polar derrière les murs, qui permet d’organiser des rencontres en prison avec 8 à 12 auteur.ices. Les auteur.ices de polar sont de manière générale très impliqué.es envers ce type de public.

 

Le thème de cette édition est Frontières

L’année dernière, lorsque nous avons fait le bilan après la fin de la 20e édition, nous nous sommes rendu compte à quel point il n’y avait pas de frontière au festival : les gens se mélangent, les genres se mélangent. Cette année, nous sommes allés encore plus loin dans l’ouverture du genre en invitant des auteur.ices de romans généralistes, comme Maylis de Kerangal ou Marc Lévy.

Avec l’actualité, le thème des Frontières est bien sûr à réfléchir au-delà des genres littéraires : frontières politiques, sociales, géographiques.

 

On voit la culture subir de plus en plus de coupes budgétaires, le festival est-il une manifestation littéraire en danger ?

On sent de plus en plus une vraie défiance par rapport à la culture. En France, l’arrêt du pass culture et des services civiques ont un vrai impact pour l’organisation d’une manifestation comme la nôtre.