Blaise Hofmann : Faire le grand écart

Blaise Hofmann est l’auteur de sept romans et récits de voyage. Il reçoit en 2008 pour Estive le Prix Nicolas-Bouvier au festival des Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Ses derniers ouvrages sont Marquises (2014), Capucine (2015), Monde animal (2016) et Les mystères de l’eau (2018). Il écrit aussi régulièrement pour le théâtre et sera l’un des deux librettistes de la Fête des Vignerons en 2019.

Blaise Hofmann, vous êtes beaucoup en voyage, c’est même une de vos habitudes : vous n’êtes pas souvent chez vous. J’aimerais savoir comment vous écrivez quand vous êtes en route et comment vous écrivez quand vous êtes chez vous. Sur quels supports et dans quels lieux ?
Alors, en route, à l’ancienne sur des carnets à spirale, papier et stylo. Des notes sur le vif qui sont travaillées au retour si publication il y a. Je travaille vraiment au retour, lorsque j’ai repris une maîtrise sur le temps et sur l’espace et que j’ai un lieu confortable avec une routine d’écriture. En voyage, j’écris n’importe où sur le vif, vraiment n’importe où. De retour, j’écris de plus en plus au bistrot, la journée, quand il y a moins de monde, dans des lieux de passage. Mais les trois quarts du temps, c’est chez moi.

Chez vous, comment ça se présente ? À quoi ressemble votre bureau ? Comment est-ce qu’il est organisé ?
C’est un bureau tout ce qu’il y a de plus normal, mais, de plus en plus, j’écris debout. Donc j’empile des cubes Ikea de 40 centimètres de haut sur mon bureau pour pouvoir écrire debout. C’est un peu plus tonique : on lutte contre le coup de barre comme ça… Et puis c’est plus agréable.

Comment est-ce que ça se passe, le passage des notes sur le vif du carnet à l’ordinateur ?
Dans l’écriture, j’ai toujours aimé faire le grand écart : il y a la part curieuse et ouverte où j’accumule de la matière fraîche, justement dans ces cahiers d’écriture, des pages et des pages et des pages. Et puis au retour, je prends le contre-pied de cette démarche : c’est l’archiviste un peu méticuleux qui va lire tout ce qui se trouve sur le domaine et qui prend des notes de manière très estudiantine et sérieuse. Ensuite, j’essaie de faire converger ces deux mondes entre les notes fraîches, donc un regard très personnel sur le monde, et un cadre théorique qui vient après.

Vous avez beaucoup de matière, vous avez rassemblé beaucoup de choses. Comment est-ce que vous savez ce que vous allez garder ?
Le critère, c’est : tout ce qui aurait pu se lire ailleurs, je l’enlève. Et puis après, il n’y a pas vraiment de critères. C’est vrai que quand on travaille pendant deux ans sur un sujet, on est vite complètement passionné. On est le spécialiste et puis on trouve que tout est important. Il y a aussi un grand travail éditorial qui devrait être fait par tous les éditeurs, quelques remarques dans le fichier Word sous forme de petites bulles qui nous disent : « Voilà ces trois pages, moi je me suis ennuyé. Dans ce chapitre, tu peux le raccourcir de moitié, ça reviendrait au même. » Dans mes tout premiers livres, j’ai carrément eu des propositions pour enlever des chapitres entiers.

Quand ça arrive, vous réagissez comment ?
Eh bien là, heureusement, la personne qui m’avait dit ça pour le deuxième livre, je ne la connaissais pas, je ne l’avais jamais rencontrée physiquement, c’était un conseil éditorial via mail. Sur le moment, je n’avais pas répondu. Un mois après, je me suis aperçu qu’elle avait raison, cette femme que je n’ai toujours pas rencontrée physiquement mais qui est une bonne lectrice. Quand on a le nez dans le guidon, on perd le sens des priorités.

Vous parliez de Word tout à l’heure. Vous travaillez uniquement sur ce programme ou aussi sur d’autres programmes ?
Non, il n’y a que Word. Chaque jour de travail, je fais une sauvegarde avec la date. Comme ça, j’ai mon fichier pour que je puisse revenir en arrière.

Comment est-ce que vous êtes venu à l’écriture ? Comment est-ce que l’écriture est venue à vous ?
Un peu comme tout le monde, par hasard. J’écrivais plutôt des notes, comme on prend des photos, comme on fait un livre de souvenirs. Et puis, à un moment, il y a une nécessité. La question ne se pose pas, on écrit simplement plus souvent, plus longtemps, plus intensément. Mon premier livre, c’était une lettre à un être aimé : j’ai commencé l’écriture comme ça. En écrivant cette lettre qui commençait à durer 100, 150 pages, je me suis dit que j’allais peut-être lui épargner cet enfer de lecture et essayer de voir si je n’arrivais pas à le partager ailleurs.

À une personne qui commence l’écriture ou qui se lance dans un projet, est-ce que vous auriez deux conseils à lui donner : une chose à essayer de faire si possible et une chose à essayer de ne surtout pas faire ?
C’est une excellente question, mais c’est assez compliqué… À faire, c’est d’utiliser un maximum la poubelle, de ne pas vouloir trop en faire, de ne pas surécrire, d’écrire juste. Et ne pas vouloir travailler trop vite.

Durant ces années d’écriture, peut-être que votre technique a évolué : il y a des choses que vous faisiez au début et que vous ne faites plus maintenant, que vous faites de manière différente. Qu’est-ce qui a changé ?
J’ai essayé quelques perversions : j’ai écrit par exemple un « blook », un blog qui est devenu livre ensuite. D’abord, une écriture qui est tout ce que je déteste, c’est-à-dire instantanée : on écrit le jour même, on publie le soir. Par contre, en découvrant des merveilles que sont les commentaires, j’ai décidé de les intégrer dans l’ouvrage que j’ai écrit de cette manière-là. Mais ça, je ne l’ai fait qu’une fois. Autrement non, les méthodes changent vraiment très peu. J’ai de plus en plus ce besoin d’être discipliné, de m’imposer des délais que j’envoie à l’éditrice en même temps pour me foutre des coups de pied au cul. C’est entre moi et moi-même, mais c’est le moyen que j’ai trouvé pour qu’après, j’avance.

Propos recueillis par Pierre Fankhauser

Photo © Sandra Culand