Ingrid Thobois est née en 1980. Au début des années 2000, après avoir voyagé dans les géographies de Nicolas Bouvier, elle a enseigné le français en Afghanistan, puis a travaillé dans le milieu du développement en Asie, Asie centrale et dans le Caucase… Elle a publié cinq romans depuis 2007. Le roi d’Afghanistan ne nous a pas mariés (Phébus) a obtenu le prix du premier roman à sa sortie. Son dernier, Le plancher de Jeannot, est paru chez Buchet Chastel en 2015. En septembre 2018 paraîtra chez le même éditeur Miss Sarajevo. Ingrid Thobois écrit également pour la jeunesse. En 2015, elle a rendu hommage à Nicolas Bouvier avec un album : Des fourmis dans les jambes, petite biographie de Nicolas Bouvier (La Joie de Lire). Son site internet : www.ingridthobois.com.
Ingrid Thobois, vous êtes une grande voyageuse, est-ce qu’il vous arrive souvent d’écrire dans le train ?
Ça m’arrive, oui… avec des boules Quiès ! Le côté immobilité dans le mouvement, je trouve ça assez propice. Le voyage mental est complètement à l’image du voyage, le wagon traverse un espace, l’imaginaire traverse le décor mental de l’histoire qu’on invente.
Vous écrivez pour les grands, mais vous écrivez aussi pour les enfants, est-ce que votre approche de l’écriture est différente dans ces cas-là ou est-ce que vous écrivez la même chose ?
L’approche est différente, l’exigence est la même. Quand j’écris pour les adultes, je m’adresse à moi-même, non pas pour répondre à une question, mais pour explorer une ou plusieurs de mes obsessions. Quand j’écris pour la jeunesse, j’ai une idée de message que je souhaite faire passer à l’enfant ou à l’adolescent, c’est-à-dire que j’écris avec une intention à l’égard du lecteur.
Sur la table, devant vous, il y a un petit carnet. C’est là que vous prenez des notes et vous les retranscrivez ensuite ?
J’ai toujours un carnet qui m’accompagne. Mon premier carnet est daté de 86, j’avais six ans. J’ai toujours eu ce rapport au monde extérieur et à ce que je vis, ce besoin de consigner tout ce qui donne du relief à mon existence : il peut s’agir d’une scène d’un film que j’ai vu, d’une histoire qui m’a été racontée, ce n’est pas forcément quelque chose que j’ai vécu. En général, c’est illisible sinon par moi ! C’est daté et localisé à chaque fois. Quand l’idée d’un roman vient, je la note aussi dans ce carnet. Et je vois avec le temps si elle mûrit, ou pas : il y a des idées qui ne tiennent pas la route, qui s’évaporent très rapidement, et d’autres qui prennent la forme d’une obsession, laquelle peut me donner le souffle nécessaire pour tenir la distance d’un roman. Une fois que j’ai les grandes lignes de l’histoire, je reviens à mes carnets, je relis les derniers, j’en remplis environ 4 par an, et je marque à l’aide de post-its les pages dont je me dis qu’elles pourront éventuellement m’être utiles. Ensuite, au cours de l’écriture, je les utilise, ou pas. J’aime garder une grande marge de liberté pour pouvoir me laisser surprendre par l’écriture en train de s’accomplir.
Après, concrètement, comment ça se passe ? Vous vous asseyez devant votre ordinateur, vous retranscrivez vos notes, vous les retravaillez ?
Dès que le roman prend forme, j’écris tout de suite à l’ordinateur parce qu’il y a une netteté des caractères, de la mise en page, qui m’aide à clarifier ce que j’ai dans la tête. Sur une journée de travail, je passe peut-être la moitié, voire plus, à relire ce que j’ai écrit. Souvent, mon texte grossit de l’intérieur : admettons, j’ai écrit quinze pages, je me relis, mais je ne continue pas forcément le texte à la fin de la quinzième page. Je peux insérer un paragraphe, voire un chapitre, en plein milieu de la troisième page. Il est très rare que je continue à écrire depuis mon point final de la veille.
Vous écrivez chez vous ? À votre bureau ? Dans les cafés ?
Il m’est arrivé une fois d’écrire dans un café pour des raisons précises : on était en plein hiver, mes deux radiateurs avaient rendu l’âme, et je n’avais absolument pas l’argent pour les remplacer ! Sans ça, j’écris principalement chez moi : une planche et des tréteaux qui sont coupés exactement à la hauteur dont j’ai besoin. C’est très étudié, pour ne pas me faire mal – tout écrivain sait qu’au bout d’un moment, on a des crampes et des tendinites. En face de moi, il y a un panneau de liège sur lequel j’accroche beaucoup de choses, certaines sont là depuis très longtemps, d’autres y restent un moment et puis s’en vont. J’écris beaucoup avec des visuels : au début de chacun de mes carnets, je mets toujours une carte postale, comme une page de garde personnelle. En l’occurrence, pour ce carnet, c’est une reproduction d’une peinture de Schiele.
Durant toutes ces années d’écriture, qu’est-ce qui a évolué dans votre pratique ?
Au tout début, le désir d’écrire était supérieur à ce que je voulais écrire. Donc il m’est arrivé beaucoup de fois de partir bille en tête avec une idée, comme ça, sous forme de pulsion d’écriture, et d’écrire cent pages pour me rendre compte que mon idée était évaporée. Maintenant, je prends le temps de réfléchir, de regarder ma pulsion de départ sous toutes les coutures pour voir si elle va tenir la longueur.
À une personne qui se mettrait à écrire, quels seraient les deux conseils que vous lui donneriez : une chose à essayer de faire dans la mesure du possible et une chose à ne surtout pas faire ?
Question difficile. La première chose, tout simplement, qui peut paraître paradoxale : ne réfléchissez pas et surtout ne pensez pas à la publication. Je dirais que c’est la règle numéro un : il ne faut pas penser au fait qu’on va être lu parce que ça paralyse. Souvent, je le vois dans les ateliers d’écriture que j’anime, ce qui bloque les gens, ce n’est pas l’écriture, mais la peur de l’écriture. Souvent, le plus difficile n’est pas d’écrire, mais d’oser écrire. Il faut y aller, il faut se jeter à l’eau. Et puis, je recommande vraiment, même si la vie réelle ne le permet pas toujours, la régularité : écrire tous les jours, même un tout petit peu !
Propos recueillis par Pierre Fankhauser