Pour notre dernier webinaire, nous avons eu la chance d’accueillir Ismaël Khelifa, journaliste, auteur et présentateur de l’émission Échappées belles sur France 5. Guide naturaliste, écrivain pour la jeunesse, auteur de récits de voyage, il a publié en 2024 son premier roman pour adultes, Ce que la vie a de plus beau.
Ce roman raconte la rencontre tardive entre un père et son fils, Romain et Nathan, qui partent ensemble pour une expédition dans le nord-ouest de l’Islande. Dans ces paysages bruts et magnifiques, ils essaient de réparer un lien qui n’a jamais vraiment existé.
Avec nos étudiants, Ismaël Khelifa a parlé de ce que l’écriture représente pour lui : une manière de mettre en forme le réel, les lieux et les expériences qui traversent une vie.
Écrire ce que l’on connaît
Pour lui, l’écriture commence par les paysages et les lieux que l’on porte en soi. Il raconte ses voyages, les territoires qu’il a arpentés, les villes où il a vécu.
Au moment d’écrire Ce que la vie a de plus beau, il avait d’abord imaginé situer l’intrigue dans une ville qu’il connaissait moins bien. Sur le conseil de son éditrice, il a finalement choisi Marseille et l’Islande notamment, des lieux qu’il a vraiment habités, traversés, racontés. Ce changement a donné au livre une autre densité : on sent que le décor vient de l’expérience.
Plus largement, il nous a encouragés à ancrer nos textes dans des choses que nous connaissons intimement, qu’il s’agisse d’un quartier, d’un paysage, d’un métier ou d’un lien familial. C’est là que naît la sincérité.
Trouver son sujet
Ismaël Khelifa a aussi insisté sur l’importance de trouver son vrai sujet. Lorsque l’écriture bloque, ce n’est pas forcément par manque de volonté, mais parfois parce qu’on n’a pas encore mis la main sur ce qui nous touche assez pour que l’on se sente obligé d’en parler.
Lui a trouvé ce fil conducteur dans la nature, le voyage, la paternité, la filiation. Ces thèmes reviennent dans ses récits et dans son roman, et c’est autour d’eux qu’il construit ses histoires. Il a invité chacun à chercher ce qui le travaille vraiment : une relation, un paysage, une injustice, une joie ou une blessure. À partir de là, la voix se précise.
Une vie d’auteur faite de « temps volés »
Ismaël Khelifa a rappelé qu’il est rare de vivre uniquement de sa plume. Il citait ce chiffre frappant : en France, seuls quelques milliers d’écrivains gagneraient plus de 8 000 euros par an grâce à leurs droits d’auteur.
Pour la grande majorité, l’écriture se glisse entre mille autres choses : un travail, une famille, des déplacements. Il a insisté sur le fait que c’est normal, et que l’on peut tout à fait se construire une œuvre à partir de ces « temps volés », un peu saisis à gauche et à droite dans le réel de nos vies.
Son message aux étudiants était clair : ne pas se laisser impressionner par l’image de l’auteur enfermé toute la journée dans son bureau, et accepter que l’écriture soit une pratique patiente, qui avance par fragments.
Éditeurs, rencontres et confiance en son talent
Les étudiants ont pu lui poser de nombreuses questions, notamment sur la manière d’écrire le réel sans blesser les proches, et sur la possibilité de vivre, au moins en partie, de sa passion. Il a évoqué la nécessité de protéger l’intimité des personnes dont on s’inspire, de changer certains détails si besoin, tout en restant honnête sur le fond.
Il a aussi beaucoup parlé des rencontres. Pour lui, trouver un éditeur ou une éditrice ressemble parfois à une histoire d’amour : à un moment, on tombe sur quelqu’un qui comprend notre univers et a envie de l’accompagner. Cela peut prendre du temps, demander de la persévérance, mais il a insisté sur la richesse humaine du milieu éditorial quand on rencontre les bonnes personnes.
Concernant le talent, il estime qu’il existe très peu de véritables génies de l’écriture, mais beaucoup de personnes qui ont un vrai talent à développer. À sa propre mesure, il essaie de faire grandir le sien. Très jeune, on lui a dit qu’il écrivait bien ; il a beaucoup lu, beaucoup observé la langue, et il continue aujourd’hui à nourrir cette passion-là.
Un conseil de lecture
En fin de rencontre, Ismaël Khelifa a recommandé un roman qui lui est cher : Et vous passerez comme des vents fous de Clara Arnaud (Actes Sud).
Ancré dans une vallée des Pyrénées, ce livre suit notamment un berger et une spécialiste des ours, au cœur d’un territoire sauvage où la nature impose ses règles. On sent que l’autrice vit là-bas, qu’elle connaît les montagnes, les bêtes, les tensions autour de la présence de l’ours. C’est un texte puissant, très incarné, qui montre à quel point l’écriture gagne en force lorsqu’elle naît d’un lieu vraiment habité.
Nous remercions chaleureusement Ismaël Khelifa pour ce moment généreux, où il a su parler à la fois de voyage, de nature, d’édition et de doute, et surtout de ce qui fait, pour lui, la beauté d’un texte : une parole sincère, ancrée dans le réel et capable de le dépasser.